INSERTION : LE PUBLIC SE PRÉCARISE, NOTRE MISSION ÉVOLUE

Face à des candidat·es de plus en plus éloigné·es de l’emploi, nous adaptons nos pratiques pour agir au plus près des besoins.
Paru le 20 November 2025

Constat national : la précarité a progressé au cours des dernières années

Depuis les 5 à 10 dernières années, la France connaît une dégradation marquée de plusieurs indicateurs sociaux, mettant en évidence une progression de la précarité et des inégalités. 

Après des décennies de relative stabilité, le taux de pauvreté (au seuil de 50 % du niveau de vie médian, soit 1 073€ mensuels) atteint désormais 8,4 % en 2023. Cela représente 5,4 millions de personnes, avec 230 000 personnes supplémentaires en un an (Observatoire des inégalités).

Cette hausse intervient malgré un système de prestations sociales qui limite une partie de la chute du niveau de vie : le seuil de pauvreté demeure ainsi bien supérieur au RSA (568 €), à l’allocation pour demandeurs d’asile (426€) ou au minimum vieillesse (1 012 €) par exemple (Rapport sur la pauvreté en France, édition 2024-2025).

Cependant, les inégalités de revenus se creusent, elles, très significativement : depuis le début des années 2000, le revenu des 10 % les plus riches a augmenté 14 fois plus vite que celui des 10 % les plus pauvres, portant l’écart entre les deux extrémités à 19 500 € annuels (Centre d’observation de la société).

Certaines catégories de population sont nettement plus exposées.

Les femmes ont un taux de pauvreté supérieur à celui des hommes (8,4 % contre 7,8 %), et les familles monoparentales, majoritairement portées par des femmes, sont frappées de plein fouet, avec un taux de pauvreté passé de 17,3 % à 19,2 % entre 2020 et 2022, contre seulement 7 % pour les couples avec enfant(s) et 5,6 % pour les couples sans enfant.

En cas de séparation, 22 % des familles basculent sous le seuil de pauvreté dans l’année, et la moitié des mères subissent une chute de niveau de vie d’au moins 20 %.

Les jeunes sont également très touchés : la moitié des personnes pauvres a moins de 30 ans.

Les personnes immigrées, quant à elles, connaissent un taux de pauvreté de 18,8 % (23,6 % pour les personnes originaires du Maghreb).

En effet, il existe des écarts importants au sein même de la population immigrée : le niveau de vie médian des personnes originaires d’Afrique est de 1 345€, contre 1 761€ pour les immigré·es originaires d’Europe (Insee), qui reste néanmoins inférieur à celui des personnes nées en France (1 974€).

Les personnes en situation de handicap sont elles aussi particulièrement vulnérables : une sur cinq vit sous le seuil de pauvreté (seuil 60 %).

(Sources : Rapports de l’Observatoire des inégalités sur la pauvreté selon le sexe, selon le type de ménage, selon l’origine, et selon l’âge, et Ministère du travail).

Les inégalités territoriales s’ajoutent aux inégalités sociales : les villes-centres des grandes agglomérations présentent les niveaux de vie médians les plus faibles (1 788 €) avec des QPV qui concentrent les difficultés : le taux de pauvreté y atteint 42,5 % en 2022.
Les zones rurales suivent avec 1 808 €, tandis que les périphéries urbaines (1 987 €) et les banlieues (1 939 €) regroupent les classes moyennes.
À ces fragilités s’ajoute une crise du logement : 4,1 millions de personnes sont mal logées et 330 000 sont sans domicile (Fondation pour le Logement). Environ 12 millions de personnes sont en situation de fragilité résidentielle (précarité énergétique, impayés…), et un quart des ménages les plus modestes se prive de repas ou de chauffage.

 

L’emploi demeure un facteur clé de protection sociale, mais ne suffit plus à prémunir contre la pauvreté.

En effet, le SMIC s’élève à 1 426€ net par mois mais 1,1 million de travailleurs vivent sous le seuil de pauvreté, soit environ 4 % des actifs. On constate également que 15 % des personnes hébergées en urgence sont pourtant en emploi.
De plus, l’allocation de retour à l’emploi (en moyenne 1 085 € en 2022) a subi un durcissement en 2023 : la période d'indemnisation est raccourcie et le montant moins élevé  (Rapport sur la pauvreté en France, édition 2024-2025).

Si la Nouvelle-Aquitaine affiche en 2023 un taux de chômage légèrement inférieur à la moyenne nationale (6,4 % contre 7,1 %), les disparités restent fortes, à l’image du reste du territoire français.

Les personnes immigrées sont toujours confrontées à un taux de chômage élevé (11,2 %), qui monte à 13,6 % pour les actifs nés en Afrique et 11,8 % pour ceux nés en Asie, malgré des niveaux de diplôme parfois équivalents à ceux des personnes nées en France. Cette réalité révèle le poids des discriminations, confirmé par les nombreuses opérations de testing. Par ailleurs, 5,4 millions d’emplois restent interdits aux personnes étrangères non-européennes.

Les personnes handicapées subissent aussi une exclusion persistante : leur taux de chômage (12 %) est 1,7 fois supérieur à celui de la population générale, et leur risque de chômage de longue durée est 1,6 fois plus élevé. Elles occupent majoritairement des postes peu qualifiés (un tiers employés, un quart ouvriers), et seulement 11 % sont cadres.

Du côté de l’âge, les plus jeunes sont de nouveau les plus touchés : 16 % des moins de 25 ans sont au chômage, contre 5,8 % des 25-49 ans et 4,3 % des 50 ans et plus.

Les moins qualifiés sont également particulièrement vulnérables : le taux de chômage des personnes sans diplôme atteint 13,3 %, contre 8,8 % pour les bacheliers et 5 % pour les diplômés du supérieur (bac + 3 et plus).

 

Le marché du travail est marqué par la montée structurelle des contrats précaires :

16 % des emplois salariés sont CDD, de l’intérim ou des contrats d’apprentissage, un niveau historiquement élevé (Centre d’observation de la société). France Travail indique que près de 45 % des inscriptions au chômage font suite à la fin d’un CDD.

Les jeunes sont les premiers concernés : 56 % des moins de 25 ans occupent un emploi non durable.

Les femmes sont également touchées (16,6 % en emploi précaire contre 15,2 % des hommes), et davantage cantonnées aux emplois non qualifiés (61 %) et sous-représentées parmi les cadres (45 %).
Certaines sont contraintes au temps partiel subi : 26,6 % des femmes travaillent à temps partiel contre 7,8 % des hommes, souvent pour des raisons familiales (30 % d’entre elles invoquent la garde d’un enfant ou d’un proche)

Au total, la France compte 8 millions d’actifs fragilisés en 2023, soit un actif sur quatre en situation de “mal-emploi” : chômeurs, travailleurs précaires ou inactifs souhaitant travailler mais découragés.

Enfin, le chômage de longue durée reste élevé : 2,2 millions de personnes sont inscrites depuis plus d’un an à France Travail en 2024 (contre 1,3 million en 2010), dont 800 000 depuis plus de trois ans (Centre d’observation de la société). 

 

Zoom sur notre public : le constat reste identique

La précarisation de la société et de la structure du marché du travail ont contribué à une précarisation réelle de certains publics. Ces tendances sont le terreau des difficultés quotidiennes que rencontrent désormais davantage de candidat·es que nous accompagnons.

Par exemple, environ 75% des personnes que nous accompagnons vivent sous le seuil de pauvreté, plus de 30% sont au chômage depuis au moins 12 mois consécutifs et près de 83% n’ont pas d’entretien programmé dans les 30 jours suivant leur Atelier Coup de Pouce.

C’est également le souhait de l’association que d’aller à la rencontre des personnes les plus éloignées de l’emploi et d’apporter son aide aux plus vulnérables.

Ainsi, la part de candidat·es accompagné·es résidant en Quartiers Prioritaires de la Ville (QPV) n’a de cesse d’augmenter. Grâce à la création d’un module d’accompagnement “Délocalisé” nous permettant de nous déplacer au cœur de ces quartiers, elle est passée de 14,1% en 2023 à plus de 20% en 2025.

Nous travaillons également davantage avec des structures dédiées aux personnes en situation de handicap : sur la même période, la proportion de personnes RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur·se handicapé·e) que nous accompagnons a augmenté de 18,5 % à 20,2 %.

La part des personnes étrangères a elle aussi augmenté de 20% en 2023 à 26% en 2025.

La tendance est donc claire : le public de l’association est majoritairement composé des strates les plus fragiles de la société, et sa précarisation est similaire à celle observée au sein de la population générale.

De ce fait, nous accompagnons aujourd’hui de plus en plus de personnes “en parcours de remobilisation”, tandis que l’action de La Cravate Solidaire Bordeaux constituait la “dernière marche avant l’emploi” lors de sa création en 2019.

L’analyse des données de suivi de nos candidats reflète également les évolutions du marché du travail en France.

Si notre taux de sorties positives (en emploi, en formation, …) reste stable, l’accès à l’emploi durable recule.
En 2022, 35% des sorties positives étaient des emplois durables (CDI ou CDD de plus de 6 mois), contre 25% en 2025.

 

Ce que ces évolutions impliquent pour nos coachings « Coup de Pouce »

Vous l’aurez compris, les candidat·es d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier. À La Cravate Solidaire Bordeaux, la conséquence opérationnelle est claire : notre posture de coach et nos pratiques doivent évoluer.

Voici quelques pistes concrètes et immédiatement actionnables :

Tout d’abord, la formation continue est essentielle.
Les bénévoles tout comme l’ensemble des membres de l’équipe opérationnelle sont ainsi encouragés à participer régulièrement aux ateliers de sensibilisation (concernant la lutte contre les discriminations, les besoins spécifiques de nos différents publics, …) animés en présentiel à Bordeaux ou en visio par les autres associations du réseau.
De plus, des ressources précieuses sont disponibles à tout moment sur l’espace intranet “Cravata Bénévole”.

Ensuite, il est indispensable de cadrer l’objectif du coaching dès le début, et d’accepter de passer d’une simulation d’entretien à un entretien-conseil sans frustration.
Pour un·e candidat·e en recherche active et qu’un entretien est prévu dans les jours ou semaines suivantes, le focus sera concret et tactique (pitch, réponses aux questions clés, …). Les bénévoles proposent alors une véritable simulation d’entretien.
En revanche, lorsque le public accompagné est moins employable à court ou moyen terme (recherche d’emploi compliquée, faible maîtrise de la langue, projet professionnel non défini…), la simulation d’entretien classique peut se révéler non constructive. Il faut alors privilégier l’entretien-conseil, plus large.
Ce format permet aux bénévoles de prendre le temps d’écouter et de poser les bonnes questions aux candidat·es pour les aider à clarifier leur projet ou à élargir leurs horizons de recherches en leur donnant de nouvelles pistes de réflexion et d’action à leur portée.
Dans tous les cas, l’objectif est de (re)booster les candidat·es dans leurs démarches et d’améliorer leur estime de soi.

Dans cette dynamique, un enjeu crucial consiste à valoriser les parcours atypiques, qui concernent aujourd’hui une large part du public accompagné.
Les bénévoles s’attèlent à transformer les périodes d’inactivité en faisant émerger les compétences transférables qui en découlent (débrouillardise, sens de l’organisation, soutien familial, engagement informel, …) 
Il en va de même pour les expériences professionnelles ou les diplômes obtenus à l’étranger : notre rôle est d’aider les personnes à les présenter comme des atouts, malgré les obstacles administratifs et les non-reconnaissances institutionnelles.
Il s’agit de montrer aux candidat·es comment raconter leur parcours de façon positive.

Il est également important de veiller à toujours formuler nos retours de manière bienveillante et encourageante.
En effet, l’objectif reste d’aider à progresser : plus les conseils sont clairs et limités, plus ils sont mobilisables dans un contexte de fragilité. Un retour constructif est donc pragmatique, simple et immédiatement actionnable. Les longs exposés théoriques sont à proscrire, en particulier face aux candidat·es rencontrant des difficultés linguistiques.
La méthode de feedback dite “en sandwich” s’avère particulièrement efficace : il s’agit de commencer par mettre en avant un point fort observé chez le ou la candidat·e, puis d’introduire un axe d’amélioration, avant de conclure par une note positive telle qu’un conseil concret.

Enfin, le dialogue entre l’équipe opérationnelle et les bénévoles est plus que jamais nécessaire. L’accompagnement permet souvent de repérer des difficultés annexes à la recherche d’emploi, comme le logement, la santé, le handicap, ou encore un besoin d’orientation vers un partenaire. Cela fait donc pleinement partie du rôle du bénévole de signaler ces éléments à l’équipe salariée, qui pourra alors adapter ses retours vers la structure prescriptrice et/ou orienter le ou la candidat·e.

 

En somme, accompagner aujourd’hui signifie coacher différemment : avec plus d’écoute, plus de pédagogie, plus de souplesse, et parfois moins de technique mais davantage de sens. C’est accepter de passer de la simple préparation d’entretien à un rôle plus large : celui d’un guide, d’un repère, d’un soutien réaliste et encourageant. C’est ce changement de posture (plus patient, plus conscient des obstacles structurels, mais tout aussi exigeant dans l’accompagnement) qui permettra à nos “Coup de Pouce” de rester réellement transformatifs.

 

Conclusion

La crise économique et sociale modifie les trajectoires : plus de personnes arrivent avec des parcours heurtés, des freins matériels, des distances à l’emploi plus grandes. Nos chiffres internes le confirment, et ils demandent que nous fassions évoluer notre pratique.

Bénévoles, votre expérience reste notre atout majeur : en ajoutant quelques ajustements simples (écoute élargie, conseils pragmatiques, posture valorisante), vous augmentez considérablement l’impact de chaque coaching. Merci d’être là, et de continuer à apprendre avec celles et ceux que vous accompagnez.